Les voitures de “Gatsby le magnifique”

Quoi conduire dans les années 1920?

Il y a près de 200 références au monde automobile dans le roman culte de F. Scott Fitzgerald “Gatsby le Magnifique”. Pour un si court ouvrage, c’est beaucoup ! Je ne suis certainement pas la seule à croire que les voitures jouent un rôle important dans ce roman. Nombreux sont ceux qui ont déjà discuté de la symbolique derrière les voitures dans “Gatsby le Magnifique” et dans l’univers de Fitzgerald. Je résume ici certaines de ces analyses pour vous, au cas où vous n’auriez jamais abordé cette histoire de cette manière. De plus, cela ouvre la porte à une plus grande discussion sur l’importance de l’impact des Années folles sur notre culture actuelle et une occasion de parler de superbes voitures. Permettez-moi de partager mon avis.

Le monde de Gatsby

Le classique de Fitzgerald a été publié en 1925 et il existe trois films basés sur celui-ci. L’histoire de Gatsby se déroule en 1922, à New York. La décennie des années 1920 est souvent appelée “les Années folles” ou “l’Ère du jazz”. C’était une période de croissance économique sans précédent et de bouleversements sociaux suite à la Première Guerre mondiale. Le krach boursier d’octobre 1929 a marqué la fin de cette période et a débuté la dépression économique qui a suivi. 

Les années 1920 ont été une période de révolution culturelle. Le jazz, l’Art déco, le Charleston et la mode ont tous prospéré à cette époque. C’était aussi une époque de paradoxes. Les États-Unis étaient sous prohibition. Cependant, cette loi conservatrice a conduit à un commerce florissant d’alcool clandestin et à l’essor du crime organisé. Certains historiens l’ont qualifiée de période de “mœurs légères”, de vie insouciante et d’excès général. Cette période a vu croître le consumérisme et l’établissement des États-Unis en tant que leader international.

Le domaine automobile ressentait également ces changements et tensions. L’innovation dans le domaine s’est produite à un rythme affolant, et de plus en plus de personnes s’y sont investis. Les automobiles sont devenues de plus en plus abordables, un autre objet de consommation de masse. Alors que certains constructeurs automobiles s’accrochaient à la tradition, d’autres osaient des designs audacieux et flamboyants. Grâce à l’introduction du démarreur électrique, de plus en plus de femmes ont appris à conduire.

Notre fascination pour les années 1920

Aujourd’hui, et probablement depuis les années 1950, lorsque le roman de Fitzgerald est devenu populaire, une fascination perdure pour cette période. Presque chaque mois, j’entends parler d’une fête, d’un événement ou d’une croisière à thème “Gatsby le magnifique”. Le mouvement Art déco continue de vendre des livres, des œuvres d’art et de la décoration intérieure bon marché. Chaque année, de nouveaux étudiants découvrent l’univers de “Gatsby le Magnifique” dans le cadre de leur programme. À mon école, nous avons même appris à danser le Charleston!

Pour une raison quelconque, Gatsby et les années 1920 ont une emprise sur notre culture. Lorsque j’ai commencé à m’intéresser à la Collection Automobile Demers, la Duesenberg et E. L. Cord m’ont rapidement fascinée. Lorsque j’ai examiné de plus près l’histoire du Modèle J, j’ai rapidement réalisé que c’était la voiture que Leonardo DiCaprio, dans le rôle de Jay Gatsby, conduit dans le film de 2013. Ce n’est pourtant pas la voiture que Fitzgerald donne à Gatsby. S’en est suivie une réflexion sur la symbolique des voitures dans “Gatsby le Magnifique” et leur représentation dans le film de 2013. Voici donc mes réflexions :

Les voitures dans “Gatsby le Magnifique”

Beaucoup ont soutenu que Fitzgerald utilisait les voitures et leurs couleurs comme des symboles dans son livre de 1925 “Gatsby le Magnifique”. Je suis plutôt d’accord. Les automobiles dans le livre sont le reflet de leur propriétaire et la façon dont les personnages les utilisent représente leur insouciance et leurs tendances destructrices. Cette symbolique fait allusion au message global du roman. Ce message, la plupart sont d’accord, est la fausseté du rêve américain, une critique dun déclin de la moralité et de la montée du consumérisme des Années folles. 

Parcourons rapidement certaines des voitures que nous rencontrons dans le roman et ce qu’elles signifient en tant que reflet de leur propriétaire. Une symbolique plus large des voitures en tant qu’agents de destruction peut également être tirée du livre, mais c’est un sujet pour un autre article.

La vieille Ford en mauvais état de Wilson

George Wilson est un personnage triste. Sa femme le trompe et il ne parvient pas à joindre les deux bouts. Dans le livre, sa voiture est décrite comme suit: “dust-covered wreck of a Ford”.  En français cela peut se traduire comme une Ford en état d’épave recouverte de poussière. Cette voiture, comme son propriétaire, ne va nulle part. Même si Wilson possède un garage, il ne semble pas pouvoir faire fonctionner sa voiture. La manière dont sa vie semble brisée et stagnante est reflétée par l’immobilité de la voiture.

Bien que la Ford Model T, que nous supposons être le modèle dans le garage de Wilson, puisque c’était le seul modèle en production par Ford à l’époque, ait révolutionné le monde automobile par sa production de masse, ce n’est pas une voiture que Fitzgerald ou les personnages socialement mobiles et aisés du livre semblent respecter. La Model T était probablement la voiture la plus abordable sur le marché à l’époque et quelqu’un se “contentant” d’une telle voiture montrait son manque d’ambition. C’était quelqu’un, comme Wilson, qui pouvait facilement être ignoré et écrasé par les riches membres de la haute société.

La vieille Dodge de Nick

Le narrateur, Nick Carraway, conduit une Dodge. Bien que nous ne connaissons pas le modèle, nous basons notre analyse sur les caractéristiques de la marque. Dodge est une marque fiable, simple et conservatrice. Nick, qui essaie de s’accrocher à ses valeurs du Mid-Ouest des États-Unis, est aussi fade que sa voiture dans le contexte du roman. Bien que ce soit un modèle supérieur à la Model T, la Dodge n’est pas terriblement remarquable, tout comme Nick. Ce dernier narre l’histoire, mais n’est pas le personnage principal et n’est pas très actif. Une autre connexion intéressante : Nick, par son inaction et son évasion dans ses relations amoureuses, pourrait être décrit comme un dodger (une personne qui esquive).

La voiture blanche de Daisy

Dans le livre, Daisy Buchanan conduisait un roadster blanc dans sa jeunesse, une voiture dans laquelle le jeune Gatsby la voit et l’admire. Ici, la couleur plus que le type de voiture est important. Le blanc est un symbole d’innocence et de pureté. Pour Gatsby, Daisy est pure et sans défaut, un rêve non corrompu. À la fin du livre, nous savons que Daisy n’est ni pure ni non corrompue, mais le protagoniste ne semble jamais changer d’avis à son sujet. Peut-être que c’est l’idéalisation juvénile de Daisy par Gatsby qui est innocente et pure.

La Coupé bleue de Tom

Encore une fois, nous ne connaissons pas la marque de la voiture de Tom Buchanan dans le livre, seulement qu’il s’agit d’un coupé bleu. Nous savons également que le couple de Tom et Daisy possède au moins deux voitures. Le fait que leurs voitures restent sans marques reflète leur position sociale. Tom et Daisy sont des gens de familles de vieilles fortunes. Ils n’ont rien à prouver à personne, ils sont pour toujours en sécurité sur l’échelle sociale. 

Nous savons cependant que la voiture de Tom est bleue. Cette couleur symbolise l’idéalisme romantique. Si je peux ajouter mon avis, j’aimerais penser qu’il s’agit de bleu foncé. Dans les années 1920, les voitures conservatrices choisies par l’élite bien établie et traditionnelle étaient dans des couleurs sombres respectables, prévisibles et ennuyeuses comme le noir et le bleu foncé. Ce serait une teinte appropriée pour le personnage de Tom, qui semble un peu en décalage avec l’Ère du Jazz.

Dans le film de 2013, Tom conduit une Auburn Speedster. Je trouve que c’est une association étrange. L’Auburn Speedster était un modèle Halo. Elle avait des lignes racées, des couleurs vives et beaucoup de nickel. Bien que la Speedster soit haut de gamme, la marque dans son ensemble était la branche “budget” de l’Empire Auburn-Cord-Duesenberg. J’aurais donné à Tom une voiture plus conservatrice et discrète. L’Auburn Speedster est trop flamboyante pour son personnage et contredirait l’idée que Tom et Daisy n’ont pas besoin de se vanter avec leurs voitures.

La majestueuse voiture de Gatsby

La voiture de Gatsby est une superbe Rolls-Royce de couleur jaune-crème. On pourrait penser qu’il s’agit d’une Silver Ghost, bien que Fitzgerald ne nomme jamais le modèle dans le roman. La voiture de Gatsby est imposante par sa taille, sa couleur vive et l’abondance de luxes et d’accessoires. Voici comment Nick la décrit : “A rich cream color, bright with nickel, swollen here and there in its monstrous length with triumphant hat-boxes and supper-boxes and tool-boxes, and terraced with a labyrinth of windshields that mirrored a dozen suns. (Notre traduction: Une riche couleur crème, brillante de nickel, enflée ici et là dans sa longueur monstrueuse avec des boîtes à chapeaux triomphantes, des boîtes à souper et des boîtes à outils, et terrassée par un labyrinthe de pare-brise qui reflétaient une douzaine de soleils). Tom, quant à lui, la traite de circus wagon ou de chariot de cirque.

La “meilleure voiture au monde”

La Silver Ghost était le premier grand succès de Rolls-Royce et a donné à la marque sa réputation de “meilleure voiture au monde”. Rolls-Royce était une marque dispendieuse, de bonne réputation et accessible uniquement à l’élite. Dans le livre, Gatsby incarne le rêve américain. Que peut-il conduire d’autre que la “meilleure voiture au monde”? Il a besoin que les gens remarquent sa voiture pour faire valoir son statut social, en tant que nouveau riche, son rang social n’est pas tout à fait aussi sûr que celui de Daisy et Tom. La Rolls-Royce entre les mains de Gatsby devient un symbole de statut.

D’un point de vue de l’analyse des couleurs, la Rolls de Gatsby est décrite comme de couleur crème au début du roman mais devient jaune à la fin. Elle est même une fois décrite comme verte. Deux théories peuvent expliquer cette ambiguïté. La première est que la perception changeante que les gens ont de la voiture fait écho à l’identité changeante et obscure de son propriétaire. La deuxième explication est que la couleur beige est un mélange du jaune et du blanc. Le blanc est la couleur de Daisy comme nous l’avons établi précédemment, et le jaune, la couleur de l’or et de l’argent, est associé à Gatsby. Le beige mélange les deux et reflète le rêve ultime de Gatsby d’obtenir la fille de ses rêves. Un rêve qu’il tente de réaliser grâce à l’accumulation de richesse et à l’illusion de grandeur et de respectabilité.

Et les films?

De manière intéressante, alors que le deuxième film de Gatsby (1974) reste fidèle au livre en utilisant une Rolls-Royce Phantom I, les premier (1949) et troisième (2013) films donnent à Gatsby une Duesenberg à la place. Je pense que cela est fait pour représenter “l’ultime voiture de rêve américaine”. Duesenberg rivalisait avec Rolls-Royce en termes de qualité, de prestige et de prix. E. L. Cord lui-même, un millionnaire self-made, incarnait le rêve américain. Cord a chargé Fred Duesenberg de faire la meilleure voiture que le monde ait jamais vue. Un défi que la plupart s’accordent à dire que Fred a accompli avec le Modèle J. La Duesenberg semble donc être la voiture parfaite pour Gatsby.

Fitzgerald lui-même conduisait une Rolls-Royce Silver Ghost à l’époque où il écrivait le livre. C’est peut-être pour cela qu’il a donné à son protagoniste cette voiture. Plus important encore, le Modèle J n’existait pas encore! Personnellement, je crois que la Duesenberg convient mieux à Gatsby si vous êtes prêt à renoncer à l’exactitude historique. Personne n’aurait traité une Rolls-Royce de “chariot de cirque”, tandis que la Duesenberg était une voiture idéale pour les nouveaux riches qui ont réalisé le rêve américain comme les acteurs d’Hollywood et les magnats de l’industrie.

Que cela signifie-t-il ?

L’intérêt continu pour l’univers de Gatsby et la fascination pour les Années folles en général me laisse un peu perplexe. Chaque fois que je pense à Gatsby, je me souviens qu’à la fin, il meurt de façon tragique. Il n’obtient pas la fille de ses rêves. Tout ce qu’il a gagné matériellement tout au long de sa vie n’a pas d’importance. La voiture, en particulier, est une source de sa chute. Daisy n’est pas une personne pure et innocente comme Gatsby la peint. C’est elle qui conduit imprudemment et tue Myrtle. Elle se révèle être aussi moralement corrompue que les autres riches qui l’entourent. Daisy ne prend pas la responsabilité de l’accident, rejetant la faute sur Gatsby. Les belles voitures que les riches peuvent acheter se révèlent être des outils de destruction.

Comme une scène d’accident…

De plus, les Années folles se sont terminées par un crash désastreux et la période qui a suivi a été la Grande Dépression, qui a mis des millions de personnes dans le monde dans une situation précaire. Si Fitzgerald, comme d’autres auteurs de l’époque, nous a mis en garde contre les dangers de l’excès, du matérialisme et du déclin de la moralité, pourquoi sommes-nous si fascinés par cela? Peut-être est-ce la même raison pour laquelle les Londoniens suivaient les actions scandaleuses des Bright Young Things (l’équivalent britannique des Flappers américains) dans les années 1920. Ou la façon dont nous suivons les potins de célébrités aujourd’hui. Nous aspirons à cette insouciance. Les styles de vie excessifs nous fascinent. Comme les tatouages Carpe Diem le représentent, nous voulons vivre dans l’instant présent. L’attrait du matérialisme est toujours tentant aujourd’hui. Si seulement nous pouvions obtenir cette chose qui rendrait nos vies meilleures!

… Ou comme l’amour des voitures antiques!

Peut-être est-ce aussi la nostalgie. Un désir d’un passé qui n’existe plus. Les amateurs de voitures anciennes sont particulièrement au fait de cela. En s’accrochant aux artefacts du passé, nous voulons vivre ce que nous pensons être de meilleurs jours. Et quelle meilleure façon de revivre la passion des années 20 que d’admirer une Auburn Speedster, une Pierce-Arrow ou une Duesenberg?

Et maintenant ?

Lorsque le confinement dû à la pandémie et la réalité de la COVID ont commencé à se faire sentir au printemps 2020, je plaisantais avec mes amis en disant que nous allions vivre notre vingtaine dans les “Années folles”. En général, dans l’histoire, une période difficile comme une guerre mondiale ou une pandémie est suivie d’années de croissance accélérée, de prospérité et de joie. Commes les Années folles ont suivies la Primière Guerre Mondiale, j’anticipais que les années après la pandémie ne seraient pas différentes. Depuis l’isolement de mon appartement à Melbourne, je rêvais de nouvelles “Années folles” du 21e siècle. Moi aussi, je voulais cette joie insouciante!

Revisitant le monde de Fitzgerald à travers ce travail m’a fait changer d’idée. Se rappeler que Gatsby meurt assassiné et que tout ce faste et ce glamour cachent une vérité décadente, je pense que les Années folles sont mieux d’être laissées dans le passé. Néanmoins, ces réflexions n’enlèvent rien au chef-d’œuvre qu’est “Gatsby le Magnifique” de Fitzgerald. Et je suis heureuse que les voitures y aient joué un rôle si important. Bien que ce ne soit pas exactement la même voiture que nous voyons dans le film, la semaine prochaine, nous vous présenterons une Duesenberg Modèle J dans la Collection Automobile Demers.